Je suis en couple depuis plus de 10 ans et je ne le savais pas...

Aujourd'hui, j'ai envie de parler de ma plus longue relation d'amour. Je sais pas trop comment l'appeler, parce qu'elle ne rentre dans aucune case. Quand je dis relation d'amour, ce n'est pas vraiment le bon terme, parce que j'ai des relations d'amour qui durent depuis plus longtemps, comme celles avec mes parents ou mes frères et soeurs ou une amie d'enfance. C'est une relation d'amour presque amoureux mais pas tout à fait. Une relation amicale mais qui ressemble à ce qu'on appelle un couple. Sauf que y a pas de sexe dedans.

C'est ma relation de couple platonique. C'est la relation dans laquelle j'ai appris ce que c'était l'amour inconditionnel. C'est un psy un jour qui a mis ce mot-là et je me suis dit "ah oui, ça correspond bien".

Quand on a commencé à se fréquenter, on est devenues très amies sans vraiment que je m'en rende compte. Elle est venue m'aider à aménager le hlm que je venais d'obtenir, après un divorce et un an passé chez mon père avec ma fille de 1 an à l'époque. Elle m'a appris à utiliser une perceuse, et à fabriquer des étagères. A l'époque, j'avais peur du bricolage, je me sentais super empotée, et complexée, parce que j'avais le sentiment d'aller vers quelque chose de réservé aux hommes et que j'allais forcément être nulle. J'avais peur d'être jugée, sans doute en premier lieu par moi-même. Et elle, je l'admirais parce qu'elle savait faire plein de trucs de ses mains, qu'elle était super forte et qu'elle vivait dans un squat. Grâce à elle, je me suis sentie moins nulle, et depuis ce temps-là je n'ai plus jamais eu peur d'une perceuse et j'ai fait un paquet d'étagères toute seule.

Bref, petit à petit, on a fini par ne plus se quitter d'une semelle. Quand il se passait une semaine sans qu'on se voie, ça nous paraissait une éternité. On allait partout ensemble. Et notamment aux fêtes. C'est là que j'ai découvert, petit à petit, ce que c'est que l'angoisse, l'anxiété sociale, la dépression, parce que ma chouette amie en souffrait et nous devions parfois quitter une fête et que je la console sur un banc, pendant qu'elle m'expliquait ce qui lui arrivait. Je ne savais pas à l'époque, que grâce à elle, j'allais en apprendre tout un rayon sur la santé mentale, sur l'anti-psychiatrie, sur l'utilité finalement des médocs, sur le suicide, les cliniques psy, les thérapies. Et surtout sur la souffrance psychologique, parce que je n'ai jamais vu quelqu'un souffrir autant, en tous cas je n'ai jamais été autant aux premières loges, à partager les moments les plus durs, les plus rugueux, les plus déstabilisants de ma vie.

J'ai redéfini pour elle ma définition de l'amitié. Avant elle, pour moi les ami·e·s, c'était celleux sur qui on peut compter quand on va pas bien. Mais un hiver où j'allais mal, j'ai compris qu'elle n'était pas capable d'être là pour moi, et que sans doute, il y aurait d'autres moments dans la vie où elle ne serait pas capable d'être là pour moi quand je ne vais pas bien. Je me sentais abandonnée, et quand je l'ai confrontée elle m'a envoyé chier. C'était super dur, j'en ai chié. J'ai songé à quitter notre relation. Et... je n'ai pas pu. J'ai ruminé tout cela du fond de l'hiver, et j'ai décidé que je voulais continuer d'être son amie, même sans ça. Parce que la trouvais par ailleurs incroyablement merveilleuse, qu'elle apportait à ma vie de la profondeur, de la douceur, de la complicité, de la fusion parfois. Et que c'est la personne au monde à qui je n'ai jamais eu peur de dire les tréfonds de mon âme. Je pouvais, et je peux encore lui dire, les trucs dont j'ai honte, les trucs que je n'aurais jamais pensé dire à quelqu'un. Et ça, ça n'a pas de prix.

Elle m'a écoutée des centaines d'heures parler de moi, de mes projets, de mes envies, de mes joies et de mes peines. Aujourd'hui elle prend aussi son tour de parole mais à l'époque où elle allait plus mal, c'était surtout moi qui parlais, et elle qui écoutait. C'est grâce à elle que je suis devenue sexologue, grâce à elle encore que je poursuis une formation de psy. Je suis devenue une meilleure personne à son contact.

Nous avons vécu ensemble en colocation et puis un jour, elle s'est éloignée géographiquement. J'aurais tellement aimé qu'elle reste vivre pas loin de moi. J'aimerais encore qu'on habite ensemble.

Il y a eu des moments où je me sentais amoureuse d'elle, des moments où j'ai eu un peu de désir. Toutes ces choses, nous avons pu nous les dire, à coeur ouvert, et elle n'a jamais fui même quand j'avais peur que ça la gêne. Ça n'a fait qu'approfondir notre lien.

Ces dernières années, la distance aidant (ou n'aidant pas plutôt), nous nous sommes moins vues. Elle est restée bien sûr très très importante dans mon coeur, mais un peu moins importante dans mon quotidien, et j'ai petit à petit un peu oublié tout ce qui faisait le sel de cette relation si forte et si belle. Et cet été, ce fut les retrouvailles. Je suis partie 10 jours chez elle et j'ai soudainement repris en pleine face le plaisir intense que je ressens à être à son contact, à discuter de tout et de rien, à couper les cheveux en 4, à avoir des loisirs d'intello, à rigoler comme des baleines, à boire et à fumer trop, à se thérapiser l'une l'autre. Et c'est là que j'ai réalisé que mon couple le plus durable, c'était avec elle. Que je me racontais depuis toutes ces années que je ne suis pas très douée en histoire d'amour, que je finis toujours par quitter l'autre (en tous cas les mecs). Alors qu'en fait non, j'ai une putain de relation de couple sans code et sans rails tout tracés, incasable, magnifique et dure parfois, qui dure depuis une dizaine d'années.

Je crois que ça me fait comprendre quelque chose sur les relations amoureuses plus classiques, par extention. C'est que ça peut pas être facile tous les jours, mais que quand y a la base, c'est à dire l'amour, l'acceptation de qui est l'autre, la capacité à surmonter les conflits (car oui on en a eu quelques-uns, et cette patate a même cru un jour qu'on ne serait plus amies). Et que parfois, ça demande de redéfinir ce qui importe vraiment au fond, et qu'est-ce qu'une relation qui vaut la peine.

Et je sais pas pourquoi certain·e·s sont plus susceptibles de galérer avec leur santé mentale, mais je compte parmi les personnes les plus belles que j'ai pu aimer dans ma vie, un bon nombre de gens un peu fêlés et un peu fragiles face à la dureté de ce monde.

Ce couple est loin d'être parfait si je regarde en arrière. On en a grave chié. Elle en a chié, j'en ai chié, chacune pour des raisons bien différentes. Et pourtant, je l'échangerais contre une histoire plus simple pour rien au monde. J'aime trop ce qu'on devient l'une avec l'autre et aussi l'une sans l'autre.

Je t'aime bégette, fort fort :)

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Commentaires

28 août 2023 20:45

Ça me parle beaucoup. C'est ce genre de relations qui font que le concept d'anarchie relationnel prend tout son sens pour moi.
Dans mon vécu aussi, ce sont les personnes les plus fêlées sont souvent celles qui me font vivre l'amour le plus intensément, avec tout son lot de galères à gérer et surmonter. Et c'est aussi vivre et surmonter ces galères qui font aussi que ces relations sont si attachantes. C'est avec ces personnes qu'on se sent le plus vivant-es.
D'ailleurs, je suis probablement la fêlée d'autres personnes.

missnargote
29 août 2023 14:16

Coucou ! Merci pour ton commentaire :)
C'est vrai que ça correspond plus ou moins à l'anarchie relationnelle, mais j'aime pas ce terme, je trouve ça trop connoté, trop compliqué à comprendre pour le commun des mortels, et bref voilà. Ça me donne envie d'écrire un article sur les termes tels que "polyamour", anarchie relationnelle etc... car aucun ne me convient vraiment au final...

Tendre_Misandre

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