Peut-on être féministe et en relation hétérosexuelle ?

 

Il y a à peine 6 mois, j’en étais venue à la conclusion que non, après une année de ma relation hétéro. Certes, il y avait plein de choses formidables dans cette relation amoureuse, genre, vraiment. Des choses que je n’avais pas eues dans mes autres relations amoureuses, toutes hétéro. J’en parlerai un peu plus loin.

Mais le déséquilibre était là, encore et toujours.
Impossible de se mettre d’accord sur des solutions pragmatiques, ou chacun·e ferait un pas vers l’autre pour trouver un juste milieu. Ni sur la fréquence pour se voir, ni sur les communications à distance, ni quoi que ce soit. Et bien évidemment, c’était moi qui faisais toutes les propositions, ou presque. C’était moi qui lançais des discussions sur la sexualité, sur le polyamour, sur comment on se sent, sur comprendre nos fonctionnements réciproques et j’en passe. J’avais en face de moi quelqu’un de globalement plutôt partant, il me suffisait de lancer le truc et ensuite la discussion roulait toute seule. Il a même entamé une thérapie, sans doute plus rapidement que si je n’avais pas exprimé mon impatience. Mais ça arrivait tard pour moi.

On a essayé de moins se voir, de moins communiquer. J’en suis même venue à me dire que la seule solution viable pour le garder dans ma vie, c’était de lui proposer qu’on devienne des comètes l’un pour l’autre. J’ai d’ailleurs découvert l’existence de ce concept à cette occasion.

Alors bon, ça va, décortiquer les relations, mes émotions et tout analyser, j’aime ça. Heureusement. Mais au bout d’un moment, je m’en voulais de me maintenir dans une situation insatisfaisante, qui me rendait triste périodiquement. Je m’en voulais de me rendre malheureuse à rester avec lui.

Jusqu’à ce que je passe 10 jours chez ma meilleure amie, à pleurer à chaudes larmes, rire, partager des discussions passionnantes sur tout un tas de sujets en s’instruisant sur youtube, à glander méchamment, à boire des bières. Et concernant ma relation amoureuse, la sentance est tombée : cette fois, j’allais le quitter, et ma pote était carrément pour cette solution car elle me voyait être insatisfaite depuis des mois. Et puis, c’était pas la seule à me voir insatisfaite depuis des mois... J’en ai bassiné des meufs autour de moi avec cette histoire.

Je lui ai dit, «tu sais, j’ai pris ma décision, je vois bien que c’est ce qu’il faut que je fasse, mais très honnêtement, j’ai vraiment peur de flancher quand je vais l’avoir en face de moi. Il y a une possibilité que je n’y arrive pas et que je continue à galérer».

Et elle m’a fait la meilleure réponse du monde, celle que j’avais besoin d’entendre à ce moment-là, sans le savoir moi-même.

Mais, poulette, t’as le droit de flancher ! C’est pas grave, vraiment pas.

 

C’est comme si cette phrase, d’un coup, avait fait retomber toute la pression que je me mettais depuis des mois et des mois et des mois, depuis le début de la rencontre en fait. Quelle pression au juste ? Eh ben la pression de respecter mes limites, de ne pas accepter une relation inégalitaire. En somme, que mes actes soient en accord avec mon féminisme, et de pas me laisser bouffer par un **** de mec cis hét’. Aussi gentil et sexy et intelligent soit-il. En fait, je m’auto-jugeais de rester dans une situation désagréable. De ne pas réussir à quitter un navire qui n’était pas à la hauteur de mes aspirations féministes (légitimes soit-dit en passant). De ne pas choisir radicalement de sortir uniquement avec des femmes.

A partir de là, je me suis dit à moi-même que j’avais bien le droit de décider d’en chier si ça me chantait, que c’était ma vie après tout, et que j’en faisais bien ce que je veux, et que si je décidais d’en faire un truc pas ouf à des moments, bah j’avais le droit et voilà.

Je suis rentrée chez moi. J’ai ouvert ma boîte aux lettres parce que soit-disant il avait prévu de m’écrire pendant mon absence. Évidemment, il n’y avait rien. Cela a renforcé ma décision.

Une décision qui m’a fait pleurer, beaucoup, pendant des jours et des jours.
Et au milieu de ces jours, j’ai reçu sa lettre. Adorable, poétique, drôle, originale, pleine de douceur et d’amour. A son image. Elle arrivait bien tard, mais elle a fait fondre mon p’tit cœur sensible.

 

Je l’ai appelé plusieurs fois, nous avons eu des discussions douloureuses.
J’y croyais encore.
Et surtout, il m’a annoncé sa dépression. Dépression modérée certes, mais dépression quand même.
Cela m’a fait un électrochoc.
A la fois, j’ai réalisé que son incapacité à construire un lien était sans doute beaucoup due à sa santé mentale, ce qui m’a fait voir la situation d’une manière très différente puisque jusqu’à maintenant, je l’imputais uniquement à son genre et à son absence de volonté.

Et à la fois, j’ai flippé en me disant : «arg, suis-je vraiment en capacité d’avoir une relation, encore une, avec une personne en dépression, un amoureux qui plus est». Car en effet j’ai dans mon entourage des personnes qui vivent périodiquement des épisodes dépressifs, à commencer par mon propre père, donc je sais ce que c’est, et je sais que c’est difficile par moments en tant que proche aussi. Et être l'amoureuse d'un mec qui déprime bah, franchement je me suis vue être celle qui s'adapte, qui écoute, qui fait tout le taf et ça me plaisait pas de ouf.

Toujours est-il qu’au bout du compte, j’ai à nouveau regardé tout ce qui est vraiment super chouette avec lui, et que je n’ai pas vécu avant, et qui donc m’est précieux:

  • on tripe intellectuellement sur le même genre de trucs, et aussi sur des trucs différents
  • c’est quelqu’un qui se remet très facilement en question (sans doute trop parfois)
  • il sait s’excuser
  • il exprime son amour facilement
  • le sexe est génial
  • par sa manière d’être, il me fait renouer avec des parties précieuses de moi-même qui étaient endormies
  • on peut parler de tout, sans limite (ou presque)
  • je ne me sens jamais jugée, et je me sens acceptée entièrement dans tous les pans de ma personnalité, y compris les trucs relous
  • notre relation est un espace d’expérimentation
  • bien que nous ayons des besoins différents en terme de solitude (lui plus que moi), nous avons tous les deux besoin de relations avec un haut niveau d'indépendance

 

Et plein d’autres trucs...

Mais ce qui résume tout, c’est que je n’ai pas vécu une entente aussi simple et douce dans aucune de mes autres relations amoureuses. Ça n’empêche pas les problèmes, la preuve, mais il y a malgré tout une évidence quand on passe du temps ensemble, que je trouve très rarement, tout type de relations confondues.

Bref, j’ai décidé que tout ça valait la peine de continuer, et que j’étais ok pour galérer encore. Mais surtout, j’ai décidé de m’engager réellement dans la relation. En mode, ok, je connais les problèmes, je sais ce qui ne va pas pour moi, je sais qu’il n’est pas en capacité de donner ce qu’il faudrait. Et je suis d’accord que pour l’instant c’est comme ça, et que quand la dépression désserrera son étau, il sera toujours temps de rééquilibrer. Et j’accepte aussi qu’on finira peut-être par découvrir que non vraiment, ce que je veux et ce qu’il veut, ça ne va pas être compatible.

Mais en attendant, j’ai bien l’intention d’arrêter de me pourrir la vie en me demandant toutes les 5mn si je reste ou si je pars. Au moins en décidant de rester, j’évacue cette question.

Ça fait maintenant 2 mois, et ma foi, je me sens beaucoup mieux.
Plus de rumination, plus de décorticage de tout.
C’est toujours moi qui lance les sujets.
C’est moi qui appelle les 3/4 du temps, et lui qui met un terme à la conversation 95% du temps.
Y a des moments compliqués, liés à ses angoisses, qui appuient sur mes insécurités.
Mais on arrive vachement mieux à les naviguer.
Et ma foi, je crois que ça me convient.

Bien sûr, j’ai lâché l’affaire sur l’égalité, je ne me mens pas là-dessus. Cela amène une autre question, est-il vraiment possible d'avoir une relation égalitaire hétéro ? Déjà qu'entre deux meufs, c'est pas gagné, mais alors hétéro, ça paraît mission impossible, donc là tout de suite, j'ai décidé de faire avec.
Ma relation, je la considère comme bancale.
Mais un bancal que je suis prête à accepter pour quelques temps, et qui me permet de ne pas faire une croix sur la relation amoureuse tout court (car on va pas se mentir, trouver une copine, quand on est une meuf maman solo, en plus aussi exigeante et atypique que moi, en pleine cambrousse, c’est de l’ordre du miracle).

Donc peut-on être féministe et en relation hétéro ? Si on entend par là, vivre une relation hétéro égalitaire, je pense que non. Peut-on être féministe, et vivre bien une relation hétéro ? Eh bien je vous en reparle dans quelques mois :) Suspeeeeeense !

Et si la question t'intéresse, tu peux continuer en lisant l'article de Elena sans H.

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