Le coeur & la raison

Mais un travail sexuel souvent mal rémunéré, voire par rémunéré du tout. Je veux dire, au moins en tant que TDS (travailleuse du sexe), le contrat est clair : je te donne un service sexuel, et en échange, ça te coûte tant. Paradoxalement, dans la sexualité "civile", il y a malgré tout, souvent, un contrat implicite. Mais il est flou. Et surtout, assez souvent extrêmement désavantageux pour la meuf. Je veux dire, coucher contre un restau, c'est une grosse arnaque : moi on me paie pour mon temps passé au restau + pour le sexe qui vient ensuite, soit des sommes entre 300 et 700€ voire + d'un smic quand il s'agit de passer la nuit entière. Le restau, n'est pas une rémunération décente, car c'est du temps, de l'écoute, du travail émotionnel. Un verre n'en parlons pas.

Dans cet article, je ne parlerai pas de situations de violences sexuelles, type agression ou viol. Je parle des situations de sexe consenti, mais où malgré le consentement enthousiaste, une des deux personnes est lésée dans l'échange sexuel.

J'ai entendu plusieurs fois ces derniers mois, des histoires de premier date Tinder où la meuf se fait super chier avec le gars, et elle reste quand même discuter quelques heures, voire même, elle finit dans son lit parce qu'elle n'a pas su dire non. Sincèrement, ça me désole. Combien de ces femmes, en apprenant mon métier, me diraient que "oh mon dieu, jamais je ne pourrais faire ça". Alors que... elles le font déjà, et quasi gratos en plus.

Il y a aussi des situations encore plus floues : tu couches avec ton sexfriend, tu le kiffes, t'aimes le sexe avec lui, et pourtant, par moments tu te retrouves à faire du travail du sexe gratos, sans même t'en rendre compte.

Bon, je ne suis clairement pas là pour dire à toutes les nanas qui font du sexe hétéro : allez-y, lancez-vous dans le TDS.
Non, j'aimerais juste partager une réflexion que je me suis faite sur le sujet, pour que celleux qui sont un peu perdu·e·s et ne savent pas faire la différence entre travail sexuel (ou service sexuel) et donner du plaisir, puissent trouver une réponse un peu simple, une métaphore sur laquelle se baser pour réévaluer leur rapport au sexe. Cela ne suffira pas toujours à changer sa sexualité, car il faut aussi apprendre à poser ses limites, croire en sa propre valeur, et considérer ses propres besoins, son propre plaisir, comme inaliénables. Et ça, ça passe à la fois par les lectures, mais aussi par la lutte, et la psychothérapie.

La différence entre travail sexuel et donner du plaisir semble floue pour pas mal de personnes (de tous les genres d'ailleurs). Car le même acte, par exemple donner une fellation, peut être dans un cas, du travail sexuel, et dans un autre, un simple moment de plaisir sexuel. La seule différence, elle est interne : comment tu te sens en le faisant. Est-ce que t'as pas envie de ouf, mais tu le fais parce que t'aimes bien faire plaisir ? Est-ce que ton kiff, est un mélange entre ton plaisir sensoriel, et le plaisir donné à l'autre ? Dans le premier cas, c'est du travail sexuel. Dans le deuxième cas, tu kiffes et tu donnes du kiff : c'est du sexe partagé.

Donc évidemment, s'il y a le moindre sentiment d'obligation, tu es clairement du côté du travail sexuel. Pour info, dans le TDS, une fellation coûte entre 30€ (dans la rue, par des personnes ayant peu de marge de négociation) et 90€ (par une escort-girl qui reçoit chez elle et avec un pouvoir de négociation). Et ça dure pas plus de 15mn. Pour connaître les tarifs des autres services sexuels, et donc avoir une idée de ce que tu donnes gratis alors que cela a une grande valeur sur le marché capitaliste, tu peux écouter le podcast de Coeur de Michto, que je te recommande chaleureusement.

Une image toute simple m'est venue l'autre jour, pour différencier les deux.
J'étais dans mon lit, tranquille, en train de caresser mon chat.
Et j'adore caresser mon chat, genre vraiment. Est-ce qu'en échange, il me caresse ? Non, pas le moins du monde. Ce que je kiffe, c'est sentir mes doigts dans son pelage tout doux, sentir sous ma main la chaleur de son corps chaud. Lui, il exprime son plaisir en ronronnant, en étirant sa tête pour que je lui caresse le cou, en me montrant son ventre, en venant se coller contre moi.

Quand je caresse un animal, que rien ne m'oblige à le faire, que personne ne me regarde, je suis dans un plaisir sensuel sans arrière-pensée. Le plaisir de toucher, le plaisir de voir, entendre et sentir la réaction de l'animal. C'est gratuit et pourtant il y a du plaisir réciproque. Je donne et mon chat reçoit, et j'ai du plaisir à lui faire plaisir. Mais le plus important, c'est qu'il y a LES DEUX en même temps : j'ai du plaisir sensoriel, et j'ai du plaisir à faire plaisir. Les deux sont mélangés et il est bien difficile de les dissocier, l'un ne va pas sans l'autre.

En plus, j'arrête quand je veux : si je décide que là, j'ai eu ma dose de caresses à lui donner et que j'ai envie de faire autre chose, eh ben, j'arrête, et je n'ai pas de justification à donner.

Ça fonctionne avec d'autres métaphores comme faire un gâteau pour quelqu'un·e (je le fais parce que j'aime la pâtisserie ET que j'aime faire plaisir, ou seulement par culpabilité, par souhait d'être apprécié·e, etc ?), tout type de cadeau, etc...

Le sexe c'est pareil. Si je donne du plaisir à l'autre, et que ma seule gratification, c'est le plaisir de l'autre, mais que moi, je ne ressens pas de plaisir sensoriel, ou très minime, ou que je le fais pour avoir autre chose en échange (de l'attention, de l'amour, une bague, une participation aux tâches ménagères) alors c'est que je rends un service sexuel. Il n'y a pas de réciprocité, et si je ne suis pas payée pour cela, à la hauteur de la valeur de ce que je viens de donner, c'est que je suis en train de me faire arnaquer, et qu'il est temps de se poser les bonnes questions.

Pour terminer, une citation de Zukav et Francis par bell hooks (La volonté de changer, les hommes, la masculinité et l'amour)

❝L'intimité sexuelle aimante [...] exprime le souci et l'appréciation de l'autre. C'est un don réciproque, et non une appropriation réciproque. C'est un domaine dans lequel les individus se nourrissent l'un l'autre plutôt que de s'exploiter l'un l'autre. Dans une intimité sexuelle aimante, les partenaires sexuels ne sont pas interchangeables. Ils sont uniques par leur histoire, leurs aptitudes, leurs luttes, et leurs joies. Ils se connaissent et se soucient l'un de l'autre. Ils font preuve d'empathie. Ils s'intéressent l'un à l'autre. Ils utilisent l'intimité physique pour approfondir leur intimité affective. [...]Ils s'engagent à s'épanouir ensemble.❞

Voilà, j'espère que ce petit article pourra aider quelques personnes à clarifier leurs idées sur ce sujet.
N'hésitez pas à me donner votre avis en commentaire, si ça vous parle ou pas trop ?