La place des amitiés dans un monde centré sur le couple et la famille

Contrairement à beaucoup de femmes je pense, j'ai eu très tôt le réflexe de placer l'amitié plus haut que la relation amoureuse dans ma hiérarchie de ce qui est important dans la vie. Ça ne veut pas du tout dire, que je n'ai pas passé ma vie à être amoureuse de l'une ou de l'autre, souvent en vain, et à passer des heures et des heures à y penser, à me tourmenter, à me prendre la tête. Oh que non hélas !

Mais disons que je ne croyais pas à l'amour romantique, l'âme soeur, le mariage et tutti quanti.
Je me suis quand même mariée dans des circonstances particulières, mais je n'avais pas du tout le sentiment de m'engager à vie, et le jour où ça s'est terminé, je ne l'ai pas du tout vécu comme un échec mais plutôt comme la meilleure décision de ma vie à cette époque-là.

Mon idéal de fusion, s'est plutôt tourné très tôt vers l'amitié. C'est comme si j'avais appliqué l'idéal romantique, en retirant la dimension sexuelle, aux ami·e·s proches. Je rêvais, à 13 ans, de LA personne à qui je pourrais tout dire, qui ne me jugerait pas, avec qui j'aurais des échanges intellectuels stimulants et passionnants, et j'étais persuadée que les amitiés pouvaient durer toute la vie, et que les amours amoureuses, ça allait et ça venait.

J'investissais donc énormément la sphère amicale. J'avais des attentes énormes, et j'étais prête à donner aussi énormément. Mais je me suis rapidement heurtée au couple. Quand certaines de mes amies (oui j'ai eu relativement peu d'amIs jusqu'ici dans ma vie) se mettaient en couple '(généralement hétéro), il devenait soudainement difficile de les voir, de passer du temps seule à seule, comme au bon vieux temps. J'en étais très frustrée,  et je me sentais un peu égoïste de vouloir être seule avec elles, et de ne pas avoir de curiosité débordante pour leurs amoureux.

A présent avec le recul, je me dis que c'est plutôt étrange au contraire, de vouloir artificiellement rajouter une tierce personne dans une relation à deux, sous prétexte que c'est un amoureux ou une amoureuse. Comme si soudainement, le fait d'être en couple transformait les gens en bête à deux têtes. Et comme si les personnes avec qui on entretient un lien d'amour sans vie sexuelle ni vie commune, valaient moins notre attention. A vrai dire, ça m'a rendue triste plus d'une fois, mais j'ai bien dû faire avec, car je ne peux pas forcer les gens.

J'ai eu de terribles déceptions amicales, des deuils à faire qui ont été bien plus difficiles que mes deuils amoureux. Mes amies ont toujours été pour moi, des personnes avec qui j'entretiens des liens qui me rendent forte et heureuse, les personnes sur qui je peux compter quand justement, ça ne va pas trop dans les autres domaines de la vie. J'ai évité de trop compter sur mes amoureux pour cela, afin de ne pas entièrement dépendre d'une seule personne, de mecs qui plus est, et parfois pas les plus doués pour remonter le moral ou être dans l'empathie (même si ça va, je ne suis pas sortie avec des êtres sans coeur, mais je suis parfois sortie avec des mecs qui avaient peu d'intelligence émotionnelle). Donc quand l'une ne me donnait plus de nouvelles, ou parfois deux en même temps me laissaient tomber comme une vieille chaussette alors que je pensais finir mes jours avec elles, la chute était très très rude.

Aujourd'hui, après ces expériences difficiles, j'ai appris à mettre un peu moins d'attentes sur ces relations, à ne pas prendre pour argent comptant, non plus, toutes les promesses que l'on se fait. Je suis plutôt du genre intègre : si on se promet un truc, si moi je promets un truc, à priori c'est que j'en ai profondément envie, et ce n'est certainement pas une relation amoureuse qui me fera changer d'avis. Mais j'ai bien dû me rendre à l'évidence : beaucoup de gens promettent sur le moment, ielles sont très sincères, en ont très envie là tout de suite, mais finalement ne sont plus très motivé·e·s lorsqu'il s'agit de s'en donner les moyens. J'ai appris à m'assouplir un peu, et à ne pas en vouloir aux gens quand les projets restent dans les cartons.

Et puis encore une fois, en entrant dans le milieu militant anarcho-féministe, j'ai rencontré des personnes qui donnaient beaucoup plus de valeur aux liens en-dehors du couple, que ce que je connaissais jusque là. Même si le couple reste encore LA relation la plus investie même dans les milieux qui essaient de déconstruire la norme, il y a une volonté commune de réfléchir à tout ça, et  d'en sortir si possible.

Mais alors on se retrouve un peu confronté·e aux normes notamment institutionnelles. Car, certes on peut essayer de transgresser les normes sociales et culturelles de manière individuelle (je vais peut-être me pacser avec une de mes amiiiiiies wouuuuuu), mais les lois nous rattrappent vite aussi. Par exemple, impossible de se pacser avec plus d'une personne. Impossible, officiellement, de se marier si l'on a pas l'intention de vivre sous le même toit ni d'avoir des relations sexuelles. Pour déterminer si un mariage entre une personne sans-papiers et une personne avec, est un "vrai" mariage, l'Etat vient jusque dans le foyers vérifier s'il y a deux brosses à dent dans la salle de bain. Et encore récemment, des divorces pour faute ont été prononcés parce que le devoir conjugal n'était pas honoré. Eh oui, nous en sommes encore là.

A chaque fois que je réfléchis à la subversion que j'aimerais atteindre dans ma propre vie, je me rends compte qu'elle a des limites. C'est comme l'écologie : on peut éteindre les lumières en sortant d'une pièce, notre conscience s'en sentira mieux, mais ça ne change rien à la pollution planétaire, pour cela il faut changer le système. Je trouve que c'est un peu pareil pour les relations. On peut, à titre individuel, tester des choses : le polyamour, se marier avec un·e ami·e. C'est chouette ça fait du bien. Mais ça ne produit pas de destruction du patriarcat. Et, parfois, c'est un peu frustrant pour moi de voir tout ce qu'il y a à déconstruire pour une vie plus libre, et à quel point la norme ambiante rend cela également difficile au niveau individuel, car tout nous ramène à la norme, et c'est un effort constant que de ne pas vouloir y correspondre.

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